Comment saboter un pipeline
Andreas Malm, 2020.
Depuis la COP1, les États-Unis ont intensifié l’extraction de combustible fossile, redevenant le premier producteur mondial de pétrole et de gaz ; abritant déjà le plus grand réseau de pipelines du monde, ils l’ont encore étendu de plus de 1,2 millions de kilomètres, multipliant et prolongeant les tuyaux à haute pression pour jeter toujours plus d’huile sur le feu. L’Allemagne a continué à sortir de terre chaque année près de 200 millions de tonnes de lignite – le plus sale de tous les combustibles fossiles. Les mines à ciel ouvert avancent sans relâche, des forêts et des villages sont détruits pour laisser les excavatrices pelleter toujours plus de roche tendre à enflammer. […]
Le moins qu’on puisse dire, c’est que les classes dirigeantes de ce monde sont restées sourdes à ces signaux. Si elles ont jamais eu un peu de bon sens, elles l’ont aujourd’hui totalement perdu. Elles ne sont pas troublées par l’odeur des arbres en flammes. Elles ne s’inquiètent pas à la vue des îles qui sombrent ; elles ne fuient pas le grondement de l’ouragan qui approche ; leurs doigts n’ont jamais à toucher les tiges des moissons flétries ; leurs bouches ne s’assèchent pas après une journée sans rien à boire. Il serait bien sûr parfaitement vain d’en appeler à leur raison et à leur sagesse. Si tant est qu’elles disposent encore de telles aptitudes à entrer en relation avec la réalité qui les entoure, c’est le dévouement à l’accumulation infinie du capital qui l’emporte chaque fois. Après ces trois dernières décennies, il ne fait aucun doute que les classes dirigeantes sont foncièrement incapables de répondre à la catastrophe autrement qu’en la précipitant ; d’elles-mêmes, par leur propre compulsion interne, elles ne peuvent que continuer à tracer leur chemin de feu jusqu’au bout.
Et donc nous sommes toujours là. Nous dressons nos campements de solutions durables. Nous faisons tourner nos cantines véganes et tenons nos assemblées. Nous manifestons, nous bloquons, nous montons des pièces de théâtre, nous adressons des listes de revendications à des ministres, nous nous enchaînons aux grilles, nous nous collons au bitume, nous manifestons à nouveau le lendemain. Nous sommes toujours parfaitement, impeccablement pacifiques. Nous sommes plus nombreux, incomparablement plus nombreux. Il y a maintenant un ton de désespoir dans nos voix ; nous parlons d’extinction et d’avenir annulé. Et pourtant, les affaires continuent tout à fait comme avant – business as usual.
À quel moment nous déciderons-nous à passer au stade supérieur ? Quand conclurons-nous que le temps est venu d’essayer autre chose ? Quand commencerons-nous à nous en prendre physiquement aux choses qui consument cette planète – la seule sur laquelle les humains et des millions d’autres espèces peuvent vivre – et à les détruire de nos propres mains ? Y a-t-il une bonne raison d’avoir attendu si longtemps ?