Parcours : émancipations créatrices

Arthur Rimbaud, Les Cahiers de Douai

La poésie, plus qu’un genre littéraire

Le terme de poésie pose la question du genre littéraire. Dans la littérature européenne, le terme de poésie provient du grec ποίησις (“poièsis”), signifiant “création”. La poésie a une origine très ancienne, qui se confond à la fois avec la musique et les grandes épopées antiques rédigées en vers. Dans la Grèce antique, les aèdes chantent sous la dictée des muses, et toute la littérature est poétique.

Voici le premier vers de l’Iliade :

Μῆνιν ἄειδε θεὰ Πηληϊάδεω Ἀχιλῆος Chante, Déesse, la colère d’Achille fils de Pélée

Et de l’Odyssée :

Ἄνδρα μοι ἔννεπε, Μοῦσα, … Raconte-moi l’homme/du héros, Muse, …

Plus tard, comme le montre l’Énéide de Virgile, c’est le poète lui-même qui assumera sa création :

Arma virumque cano, … Je chante les exploits du héros/de l’homme

La poésie est progressivement associée au registre lyrique durant l’Antiquité. Le registre lyrique permet d’exprimer des sentiments personnels heureux ou plus souvent malheureux, liés à la mélancolie, à la nostalgie, à l’amour perdu voire endeuillé.

Le radical du mot est formé sur le nom « lyre », désignant l’instrument de musique attribué au dieu Apollon, mais aussi à Orphée, considéré dans la mythologie grecque comme le premier des poètes. Le mythe d’Orphée associe à la poésie un charme, une dimension magique, dans la mesure où Orphée parvenait grâce à ses chants à émouvoir la nature tout entière.

Dès l’origine, le lyrisme est associé à l’expression de sentiments tristes, puisqu’Orphée va perdre à deux reprises sa bien-aimée Eurydice ; la poésie se fait alors consolatrice dans ce mythe qui expose le lien intime entre poésie et musique.

La poésie demeure une forme littéraire importante avec le théâtre et le récit tout au long de l’histoire européenne. Elle se métamorphose au cours des siècles, et connaît d’importantes transformations : versification plus libre, poésie en prose, etc.

En définitive, la poésie se caractérise par un travail sur la musicalité de la langue, et l’utilisation détournée du langage, ce qui permet de réfléchir à la fluidité de ce genre littéraire et sa fongibilité dans les autres.

L’émergence de la modernité au dix-neuvième siècle

La seconde moitié du XIXe siècle voit l’émergence de la modernité après le souffle de la révolution française en Europe, puis des répliques du séisme à la fois en France et en Europe.

Modernité sociale et économique

Le XIXe siècle est marqué par plusieurs phénomènes :

un capitalisme triomphant dans les pays qui s’industrialisent

l’émergence d’une nouvelle classe sociale, la classe ouvrière, qui constitue un prolétariat essentiellement urbain éprouvant des conditions de vie extrêmement dures. Cette classe prend à ce moment à peine conscience d’elle-même, et fait face à une bourgeoisie déterminée à sauvegarder ses intérêts. Le salariat devient progressivement une norme.

un progrès technique rapide. Vapeur, mines, industrialisation, chemin de fer bouleversent le rapport au monde (les distances se raccourcissent, la consommation de masse émerge).

Modernité politique

Rimbaud naît en 1851, à la fin de la IIe République. Le XIXe siècle a déjà connu en France la fin du premier Empire, la Restauration, la révolution de 1830, puis celle de 1848.

En 1852 a lieu le coup d’État du président de la République Louis-Napoléon Bonaparte, qui se fera couronner empereur sous le nom de Napoléon III.

Rimbaud connaîtra la fin du Second Empire et la guerre civile qu’est la Commune de Paris, et l’instauration de la IIIe République.

Rimbaud sera profondément marqué par les événements, entre élans patriotiques et refus de la guerre. Les événements contribueront à forger sa conscience libertaire et anticonformiste.

Modernité littéraire et intellectuelle

Les changements sociaux vont de pair avec les mouvements littéraires et d’idée.

En poésie,

  • le romantisme émerge dès le début du siècle, lié à l’émergence de la conscience de soi comme individu. Expression des états d’âme et de la subjectivité, de la sensibilité.
  • le parnasse dans la seconde moitié du XIXe siècle. Il s’agit de représenter la beauté pour elle-même, par réaction au romantisme et rejet du politique, avec comme slogan l’art pour l’art. Leconte de Lisle, de Heredia, Villiers de l’Isle-Adam. Proches : Baudelaire, Verlaine, Mallarmé.
  • le mouvement symboliste en littérature sera inspiré en partie de Baudelaire et d’autres poètes.

Rimbaud

Rimbaud (1854-1891) : poète français au génie précoce, a écrit la totalité de ses œuvres poétiques entre 15 et 20 ans. Figure du poète maudit, poète marginal, anticonformiste. Né à Charleville-Mézières, il va se révolter contre les bourgeois de cette ville dans laquelle il grandit et leur conformisme, leur étroitesse d’esprit. Sa mère, qui appelle la daromphe, n’est pas épargnée.

À quinze ans, il écrit ses premiers poèmes, soutenu par son professeur de rhétorique, Georges Izambard (qui lui prête des livres comme Les Misérables…). Il gagne de nombreux prix scolaires. Il va faire de nombreuses fugues à Paris, à Charleroi.

29 août 1870 : fugue à Paris. Pris sans argent, il est incarcéré à la prison de Mazas (où il compose Aux morts de Quatre-vingt-douze). Il écrit à son professeur de rhétorique qui lui procure l’argent nécessaire à sa sortie de prison et à le rejoigne à Douai. Dans cette ville, Rimbaud composera d’autres poèmes, notamment Ma Bohème.

Il rencontre le poète et proche d’Hugo Paul Demeny à qui il va écrire la fameuse « Lettre dite du voyant » → « Je est un autre » :

« Je dis qu’il faut être voyant, se faire voyant. Le poète se fait voyant par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens. »

C’est à cette époque que Rimbaud rédige les Cahiers de Douai.

À Paris après un énième départ de Charleville, il rencontre Verlaine avec qui il aura une liaison. Il est accueilli par tout ce que Paris compte de poètes sulfureux.

Puis, à partir de 1875, il abandonne la poésie et mène une vie aventureuse, qui va l’amener jusqu’en Égypte, Chypre, Éthiopie. Il est négociant, s’essaie au trafic d’armes sans succès… Cette vie aventureuse contribue à dorer la légende du “poète maudit” selon l’expression de Verlaine, ainsi que sa courte vie. Amputé en raison d’une blessure mal soignée, il succombe à un cancer peu de temps après, à 37 ans, le 10 novembre 1891.

Contemporains :

  • Charles Baudelaire (1821-1867), poète, critique d’art, l’un des fondateurs de la poésie moderne et le premier « poète maudit », célèbre pour son recueil Les Fleurs du mal. (1857).
  • Théodore de Banville (1823-1891), poète et chef de file du mouvement appelé le Parnasse ; Rimbaud lui écrira pendant son adolescence.
  • Paul Demeny (1844-1918), poète célèbre car Rimbaud lui a confié les Cahiers de Douai et la lettre dite du « voyant ».