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Mort accidentelle d‘un anarchiste - Dario Fo

LE FOU. – Et venons en au fait : le saut par la fenêtre.

LE COMMISSAIRE SPORTIF. – D’accord.

LE FOU. – Notre anarchiste, pris d’un raptus – nous verrons plus tard à chercher ensemble un motif plausible pour ce geste dément… – se lève d’un bond, prend son élan… À propos, qui lui a fait la courte échelle ?

LE COMMISSAIRE SPORTIF. – La courte échelle ?

LE FOU. – Oui ! Lequel d’entre vous s’est placé près de la fenêtre, les doigts entrelacés, à la hauteur du ventre, comme ça. Pour qu’il puisse prendre son appel… et bzzmmm ! Il s’envole par-dessus la balustrade.

LE COMMISSAIRE SPORTIF. – Oh ! monsieur le juge. Vous prétendez que nous…

LE FOU. – Ne vous échauffez pas… Je demandais simplement… je pensais que… comme il s’agit de sauter assez haut, avec si peu d’élan, sans aide extérieure… je ne voudrais pas que quelqu’un pût mettre en doute…

LE COMMISSAIRE SPORTIF. – Il n’y a rien à mettre en doute, monsieur le juge, je vous assure… il a tout fait tout seul !

LE FOU. – Il n’y avait même pas un tremplin, comme dans les compétitions ?

LE COMMISSAIRE SPORTIF. – Non…

LE FOU. – Le sauteur portait peut-être des chaussures avec des talonnettes à ressort, à la Brummel !

LE COMMISSAIRE SPORTIF. – Pas la moindre talonnette…

LE FOU. – Ainsi, nous avons d’un côté un homme qui mesure tout au plus un mètre soixante, sans aide, sans tabouret… de l’autre une demi-douzaine de policiers qui se trouvent dans un rayon d’un mètre ou deux, que dis-je, il y en avait même un tout près de la fenêtre, et ils n’ont pas le temps d’intervenir…

LE COMMISSAIRE SPORTIF. – C’est arrivé si brusquement…

L’AGENT. – Vous n’imaginez pas à quel point il était agile, du vif-argent… j’ai à peine eu le temps de l’attraper par un pied.

LE FOU. – Ah ! vous voyez que ma technique de la provocation est efficace… vous l’avez attrapé par un pied !

L’AGENT. – Oui, mais sa chaussure m’est restée dans la main, et il s’est retrouvé en bas quand même.

LE FOU. – Aucune importance. L’important est que la chaussure soit restée. La chaussure est la preuve irréfutable que vous vouliez le sauver !

LE COMMISSAIRE SPORTIF. – C’est irréfutable !

LE PRÉFET, à l’agent. – Bravo !

L’AGENT. – Je vous remercie, monsieur le…

LE PRÉFET. – Silence !

LE FOU. – Minute !… il y a là quelque chose qui ne cadre pas (Il montre une feuille aux policiers.) Le suicidé avait-il trois chaussures ?

LE PRÉFET. – Trois chaussures ?

LE FOU. – Eh oui ! l’une serait restée entre les mains du policier… Il en a témoigné lui-même quelques jours après l’accident… (Il montre la feuille.) Regardez !

LE COMMISSAIRE SPORTIF. – C’est vrai… Il l’a raconté au reporter du Corriere della Sera.

LE FOU. – Mais là, en annexe, on certifie que l’anarchiste mourant sur le pavé de la cour avait encore ses deux chaussures aux pieds. C’est ce qu’ont témoigné ceux qui sont accourus sur place, entre autres un reporter de L’Unità et des journalistes de passage.

LE COMMISSAIRE SPORTIF. – Je ne comprends pas…

LE FOU. – Moi non plus ! À moins que cet agent, particulièrement rapide, ait eu le temps de dégringoler l’escalier, atteindre le palier du deuxième étage, se mettre à la fenêtre avant le passage du suicidaire, lui enfiler sa chaussure au vol et remonter comme un bolide au quatrième étage, au moment où le malheureux atteignait le sol.

Mort accidentelle d’un anarchiste, Premier temps, Dario Fo, 1970.


Introduction

  • 1970 : années de plomb. L’événement que raconte Dario Fo dans sa pièce marque le début de la “stratégie de la tension”
  • Dario Fo (1926, 2016) est un dramaturge, metteur en scène et comédien. Il a écrit de nombreuses pièces et obtenu le prix Nobel de littérature en 1997.
  • Dario Fo est libertaire, c’est-à-dire proche des idées de l’anarchisme. Durant les années 60 et 70, il écrira de nombreuses pièces engagées dénonçant l’exploitation des pauvres par les riches et les puissants.
  • Dario Fo s’inspire de la commedia dell’arte, de la farce, et notamment du théâtre de Molière.
  • Les 120 erreurs grossières dans la reconstruction des événements du repenti de l'affaire Sofri, 1998, sera un écho à la mort accidentelle d’un anarchiste.

La pièce est directement inspirée de la mort de Giuseppe Pinelli, un militant anarchiste italien assassiné par la police à la fin des années 60. Les policiers le défenestrent et maquillent la mort en suicide, l’accusant d’avoir été l’auteur d’un attentat imputé à des organisations d’extrême gauche. Rapidement, la presse évoquera les incohérences des versions policières. Le commissaire responsable, bien que blanchi par la justice, est considéré aujourd’hui comme coauteur du crime. Dario Fo choisit de mettre en scène un “fou”, qui par son extravagance a le culot de se faire passer pour un juge et d’obliger les policiers à se justifier. Ces derniers, inventant mensonges sur mensonges, se trouvent pris dans leurs contradictions. Dario Fo fait de cette comédie une satire de l’Italie des années 60 en attaquant la police dont de nombreux agents ont servi durant la période fasciste et se reconnaissent encore dans cette idéologie.

Dans la scène étudiée, le mensonge est utilisé par tous les protagonistes. Du côté des policiers, pour travestir le réel. Du côté du fou, pour faire au contraire éclater la vérité.

Problématique

On cherchera comment dans cette scène satirique et grinçante, Dario Fo use du mensonge pour faire surgir la vérité.

Plan

  1. La recherche absurde des causes (→ “pas la moindre talonnette…”)
  2. Un détail accablant (→ “Corriere della Serra”)
  3. Les criminels démasqués.

La recherche absurde des causes

LE FOU. – Et venons en au fait : le saut par la fenêtre.
LE COMMISSAIRE SPORTIF. – D’accord.

Le fou se faisant passer pour un juge cherche à aborder les “faits” : il dispose paradoxalement d’une méthode. Il aborde aussitôt la question principale, mais évoquée dans un mensonge qui reprend le récit policier : le “saut par la fenêtre”, [[Périphrase|périphrase]] [[Euphémisme|euphémisée]] destinée à rassurer les policiers.

LE FOU. – Notre anarchiste, pris d’un raptus – nous verrons plus tard à chercher ensemble un motif plausible pour ce geste dément… – se lève d’un bond, prend son élan… À propos, qui lui a fait la courte échelle ?

  • le pronom personnel “notre” est polysémique. Il désigne le vocabulaire professionnel, mais également peut s’analyser comme un [[Tour hypocoristique|hypochoristique]] : le fou étant ici associé au public par complicité, il permet de marquer le double langage du fou.
  • Le terme raptus, du latin “enlèvement, ravissement” désigne un état psychologique de décompensation brutale qui peut conduire au meurtre ou au suicide. C’est la thèse défendue par les policiers initialement pour justifier la mort de l’anarchiste.
  • La fausse complicité du fou est rendue manifeste par le “nous” qui semble inclure le juge et les policiers dans un même camp partageant le même intérêt. Le “geste dément”, hyperbole qui sert à caractériser le suicide, est évoqué sur le ton de l’alibi à trouver pour les policiers.
  • Le présent de narration sert à rendre la scène vivante. Il est interrompu par une [[Réticence ou aposiopèse|aposiopèse]] qui semble innocente, mais provoque une rupture de ton de l’ordre du [[Zeugme ou zeugma|zeugme]]. Ce zeugme produit un effet comique.

LE COMMISSAIRE SPORTIF. – La courte échelle ?

Dans une stichomythie, le commissaire manifeste son incompréhension. C’est une réplique typique de farce ou de comédie, car elle invite l’interlocuteur à développer sa pensée et donc l’effet comique.

LE FOU. – Oui ! Lequel d’entre vous s’est placé près de la fenêtre, les doigts entrelacés, à la hauteur du ventre, comme ça. Pour qu’il puisse prendre son appel… et bzzmmm ! Il s’envole par-dessus la balustrade.

Le fou imite une forme de courte échelle dans un comique de geste inspiré de la farce. De nouveau, “l’envol” est une [[Litote|litote]]. L’ambiguïté de la réplique réside dans l’idée que si un policier a aidé l’anarchiste à “s’envoler” de manière ironique, l’homicide n’est pas loin – mais le personnage demeure allusif.

LE COMMISSAIRE SPORTIF. – Oh ! monsieur le juge. Vous prétendez que nous…

Le commissaire ne s’y trompe pas : il saisit la portée de l’allusion et la réfute avec une protestation d’innocence forcée.

LE FOU. – Ne vous échauffez pas… Je demandais simplement… je pensais que… comme il s’agit de sauter assez haut, avec si peu d’élan, sans aide extérieure… je ne voudrais pas que quelqu’un pût mettre en doute…

Le fou coupe le commissaire, et se montre rassurant, comme le montrent ses multiples phrases inachevées et les modalisateurs. Il prétend encore chercher à justifier le récit des policiers.

LE COMMISSAIRE SPORTIF. – Il n’y a rien à mettre en doute, monsieur le juge, je vous assure… il a tout fait tout seul !

C’est au tour du commissaire de couper le juge, dans une exclamation qui traduit son angoisse, ainsi que l’indique la formule assertive “je vous, l’assure”. L’expression “il a tout fait tout seul” ressort aussi du vocabulaire enfantin et donne la tonalité du comique de mots à cette réplique.

LE FOU – Il n’y avait même pas un tremplin, comme dans les compétitions ?
LE COMMISSAIRE SPORTIF. – Non…

Le fou utilise avec ironie le ressort des enquêteurs dans les films policiers afin de stimuler la mémoire ou de susciter un souvenir avec l’adverbe “même”. Cependant, cette question est absurde, puisque le juge associe l’enquête à une “compétition” de gymnastique ou d’athlétisme. Le décalage produit ici le comique, car le commissaire répond sérieusement.

LE FOU. – Le sauteur portait peut-être des chaussures avec des talonnettes à ressort, à la Brummel !

Le fou utilise un nom à connotation comique, “le sauteur”, pour désigner la victime. Il fait référence à une gloire du saut en hauteur à l’époque, le soviétique Valeriy Brummel, et aux chaussures que portent les athlètes. Une nouvelle fois, le comique provient du décalage entre la gravité de la situation et les hypothèses absurdes du fou, qui percutent les mensonges des policiers.

LE COMMISSAIRE SPORTIF. – Pas la moindre talonnette…

Demeurant au premier degré, le commissaire répond par une négation totale comme si un tel élément pouvait faire partie de l’enquête.

Un détail accablant

LE FOU. – Ainsi, nous avons d’un côté un homme qui mesure tout au plus un mètre soixante, sans aide, sans tabouret… de l’autre une demi-douzaine de policiers qui se trouvent dans un rayon d’un mètre ou deux, que dis-je, il y en avait même un tout près de la fenêtre, et ils n’ont pas le temps d’intervenir…

  • Le fou résume la scène dans une tirade qui parodie les récits de détective. Il récapitule ainsi les indices.
  • La tirade se construit sur des [[Correction|corrections]] qui marquent la réflexion à l’oral.
  • La conclusion est évidente, mais n’est pas prononcée par le personnage. Elle est remplacée par les points de suspension qui marquent une [[Réticence ou aposiopèse|aposiopèse]] : le public peut quant à lui tirer toutes les conclusions nécessaires de la situation.

LE COMMISSAIRE SPORTIF. – C’est arrivé si brusquement…

Les deux répliques qui suivent la tirade constituent la justification embrouillée des policiers. Le commissaire ne trouve que l’adverbe intensif “si” pour évoquer sa surprise.

L’AGENT. – Vous n’imaginez pas à quel point il était agile, du vif-argent… j’ai à peine eu le temps de l’attraper par un pied.

L’agent recourt à l’hyperbole : - “à quel point” - le “vif-argent”, terme synonyme de mercure, un métal qui se caractérise par son insaisissabilité à température ambiante. Il s’agit ici d’une métaphore, proche d’expressions du langage courant.

LE FOU. – Ah ! vous voyez que ma technique de la provocation est efficace… vous l’avez attrapé par un pied !

L’interjection “ah” souligne la satisfaction du fou, qui obtient une information nouvelle, validant sa méthode consistant à mentir pour obtenir la vérité.

L’AGENT. – Oui, mais sa chaussure m’est restée dans la main, et il s’est retrouvé en bas quand même.

L’agent parle trop. Constant dans son souci de se justifier, il ajoute un détail : il a retenu une “chaussure” de la victime. L’expression de sa déception (“quand même”) produit là encore un décalage comique.

LE FOU. – Aucune importance. L’important est que la chaussure soit restée. La chaussure est la preuve irréfutable que vous vouliez le sauver !

  • “Aucune importance” le juge fait comme si la mort de l’anarchiste ne comptait pas.
  • Le fou a un coup d’avance : il prend acte de la déclaration de l’agent en flattant les policiers et en mentant en évoquant la “preuve irréfutable” de l’innocence de l’agent.

LE COMMISSAIRE SPORTIF. – C’est irréfutable !

Le commissaire, trop heureux de s’en tirer à si bon compte, répète dans une phrase exclamative l’expression du juge produisant un comique de mots.

LE PRÉFET, à l’agent. – Bravo !
L’AGENT. – Je vous remercie, monsieur le…
LE PRÉFET. – Silence !

L’enchaînement des stichomythies relève du comique de mots dans l’esprit de la farce : - le préfet félicite l’agent, sans doute parce qu’il est heureux du caractère opportun du mensonge qui lui semble-t-il mettra fin à la procédure. - L’agent essaie de prendre la parole. - Il est aussitôt coupé par le préfet, qui venait pourtant de le féliciter, lui intimant le “silence” et le renvoyant à sa place au bas de la hiérarchie policière. Ces félicitations, le préfet le sait, n’ont d’ailleurs pas de cause réelle.

LE FOU. – Minute !… il y a là quelque chose qui ne cadre pas (Il montre une feuille aux policiers.) Le suicidé avait-il trois chaussures ?

Au moment de la plus grande satisfaction des policiers, le juge provoque la stupeur en consultant la déposition précédente des policiers, qui ne “cadre pas” avec le mensonge de l’agent. Il pose ainsi une question faussement anodine et comique sur les “trois chaussures” du personnage.

LE PRÉFET. – Trois chaussures ?

Le préfet montre son incompréhension, permettant au fou de développer son raisonnement.

LE FOU. – Eh oui ! l’une serait restée entre les mains du policier… Il en a témoigné lui-même quelques jours après l’accident… (Il montre la feuille.) Regardez !

Le fou, qui devrait être irrationnel, montre au contraire qu’il s’est révélé capable de chercher la preuve et de la montrer. Mais il semble le faire dans un premier temps au service des policiers.

LE COMMISSAIRE SPORTIF. – C’est vrai… Il l’a raconté au reporter du Corriere della Sera.

Le commissaire, qui manque encore une fois de lucidité, confirme d’un ton enthousiaste la déclaration de l’agent, sans comprendre l’implication du sous-entendu des “trois chaussures”.

Les criminels démasqués

LE FOU. – Mais là, en annexe, on certifie que l’anarchiste mourant sur le pavé de la cour avait encore ses deux chaussures aux pieds. C’est ce qu’ont témoigné ceux qui sont accourus sur place, entre autres un reporter de L’Unità et des journalistes de passage.

Le fou fait la démonstration des incohérences des déclarations policières : - la conjonction de coordination “mais” marque l’opposition. Le complément circonstanciel en incise “en annexe” ajoute la force de l’écrit aux éléments qu’il avance. - Le décalage entre la proposition faisant état du décès du militant et des deux chaussures conserve une dimension absurde : il faut compter les chaussures pour obtenir la vérité. - Un effet d’accumulation dans le lexique de l’attestation employé permet de montrer qu’il s’agit de la vérité établie.

LE COMMISSAIRE SPORTIF. – Je ne comprends pas…

La seule réaction possible du commissaire est de manifester son incompréhension. Une nouvelle fois, il est pris au piège et se trouve dépourvu d’explication. L’ellipse marque une réticence, qui sera mise à profit par le fou.

LE FOU. – Moi non plus ! À moins que cet agent, particulièrement rapide, ait eu le temps de dégringoler l’escalier, atteindre le palier du deuxième étage, se mettre à la fenêtre avant le passage du suicidaire, lui enfiler sa chaussure au vol et remonter comme un bolide au quatrième étage, au moment où le malheureux atteignait le sol.

  • L’exclamation “moi non plus” met en lumière l’incohérence des policiers.
  • Le fou envisage alors une hypothèse absurde, construite sur un enchaînement de proposition infinitives.
  • L’hyperbole du “bolide”, le champ lexical de la vitesse, sont autant de marque du registre ironique employé par le fou.
  • La seule conclusion possible : l’agent a menti.

Conclusion

Dans cet extrait, le fou dit le vrai, les policiers mentent et la vérité surgit de la confrontation. Cette parodie de scène de détective, plongée dans un univers de farce, permet de produire une satire efficace qui conduit le public à se demander comment de tels mensonges ont pu être proférés avec l’espoir de dissimuler longtemps le réel.


Textes complémentaires

Élément de bibliographie : https://doi.org/10.4000/cher.363

Prologue

Cette comédie raconte un fait réel survenu en 1921, en Amérique.

Un anarchiste nommé Salsedo, un émigré italien, « passa » par la fenêtre du 14e étage du commissariat central de New York. Le chef de la police déclara qu’il s’agissait d’un suicide.

Il y eut une première enquête, puis une contre-enquête menée par la magistrature. On découvrit que les policiers avaient littéralement flanqué l’anarchiste par la fenêtre pendant l’interrogatoire.

Afin de rendre l’action plus actuelle, donc plus dramatique, nous nous sommes permis de recourir à un stratagème fréquent au théâtre. C’est-à-dire que nous avons transposé toute l’action à notre époque et que nous l’avons située non pas à New York mais dans une ville italienne quelconque, mettons Milan.

En bonne logique, pour éviter les anachronismes, nous avons dû appeler commissaires les divers shérifs, préfets de police (questori) les inspecteurs, et ainsi de suite.

Encore une remarque. Toute analogie avec des événements et des personnages qui ont défrayé la chronique de notre temps serait à imputer à la subtile magie dont le théâtre est coutumier et par l’effet de laquelle, si souvent, même des histoires un peu folles, complètement inventées, se sont trouvées impunément copiées par la réalité !

— Mort accidentelle d’un anarchiste, Prologue, Dario Fo, 1970.


Le Monde, « Italie : les anciens dirigeants de Lotta Continua obtiennent la révision de leur procès », 26 août 1999

À l’époque, Lotta Continua avait lancé une farouche campagne de presse contre le commissaire, considéré comme le responsable de la mort d’un anarchiste, Giuseppe Pinelli, « tombé » en décembre 1969 de la fenêtre du troisième étage de la préfecture de police de Milan. Giuseppe Pinelli et Pietro Valpreda, autre anarchiste, avaient été arrêtés comme suspects dans l’enquête sur l’attentat à la bombe de la Piazza Fontana, qui avait fait 16 morts le 12 décembre 1969 et donné le coup d’envoi à ce qui allait s’appeler la « stratégie de la tension ». L’extrême gauche était alors la seule à dénoncer dans cet attentat un « massacre d’Etat » perpétré par l’extrême droite couverte par les services secrets intéressés à bloquer l’avancée de la gauche dans le pays.